Mains qui travaillent une clarinette

[Entretien] Louise la reine des instruments à vent

Louise est notre spécialiste des instruments à vent chez Danett Music!
Son atelier est situé à l’intérieur même du magasin.
Nous sommes allé-es à sa rencontre pour en savoir plus sur son métier, sa vision, et son quotidien!

Mais qui est Louise?

Peux tu te présenter? Parcours, formations, pourquoi tu as eu envie de faire ce métier?

Je suis Louise Porteneuve, réparatrice d’instruments à vent depuis 10 ans. Je suis spécialisée sur l’entretien, la maintenance, la réparation et la restauration des bois et des cuivres.

C’est après avoir étudié la clarinette au conservatoire de Bayonne en parallèle de mes études, avec des profs passionnés et passionnants, que je découvre la facture instrumentale et l’envie d’exercer ce métier. 

J’aimais (et j’aime toujours !) être au contact des instruments et du milieu de la musique, de l’orchestre et des musiciens. 
J’aime aussi l’aspect artisanal du travail manuel, combiné à un solide bagage technique au niveau mécanique, acoustique, chimique… sans parler de tout l’aspect culture musicale, organologie, connaissance produits.
C’est un métier très complet et je pense que j’aurai toujours matière à apprendre, à me perfectionner tout au long de ma carrière.

J’ai été formée à l’ITEMM (l’Institut Technique Européen des Métiers de la Musique, au Mans) où j’ai obtenu mon CAP et BMA en alternance avec des entreprises spécialisées dans la vente, la réparation et la fabrication (Colos Music à Toulouse puis Rigoutat, facteur de hautbois à Saint-Maur-des-Fossés)

Cette formation en apprentissage fut riche de découvertes et me permit de confronter plusieurs manières d’exercer ce métier, plusieurs facettes du milieu de la facture instrumentale.
Je poursuivis ma formation par de nombreux stages (tant en réparation qu’en fabrication) et comme salariée dans différentes entreprises.
En 2015-2016, j’assure la responsabilité de la section « instruments à vent » à l’ITEMM, et enseigne la réparation des instruments de la famille des « bois ». 

J’ai sillonné la France pour continuer de me former, et maitriser ce fabuleux métier de facteur-réparateur d’instruments à vent.
Puis nous nous installons à Allaire avec mon conjoint Charles Perrard (qui est technicien pianos) et j’ouvre mon atelier à Redon au sein du magasin « Danett Music », en juin 2018.

Nous continuons tous deux à intervenir ponctuellement comme formateurs à l’Itemm et travaillons en partenariat avec plusieurs techniciens-facteurs.

Réparer les instruments à vent, un métier diversifié

Comment définirais-tu ton métier ? Ses spécificités ? Répares tu tous types d’instruments à vent?

La famille des instruments à vent est grande et le travail très varié.
J’apprécie ce planning diversifié qui me fait passer de la révision d’une clarinette, à la soudure sur un cor. Ou de la remise en état complète d’une flûte traversière, au débosselage d’un énième saxophone alto tombé de son étui mal fermé !
J’aime le travail plutôt « physique » (c’est mon moment « muscu ») sur les cuivres tout bosselés. Et la concentration, la patience et la précision que demandent les opérations de bouchage sur un hautbois.
Parfois, il s’agit juste d’un dépannage, d’un petit liège ou d’une vis à remplacer. Ou bien il faut refabriquer une clé, adapter une pièce. Parfois c’est une grosse restauration planifiée depuis plusieurs mois qui immobilise l‘instrument plus longtemps à l’atelier.

Pour résumer l’étendue des services que je propose, voici un petit schéma :

La prise en charge des instruments à vent

Comment procèdes-tu selon l’instrument et le travail à faire dessus (réparation ou entretien)?
Quelles informations as tu besoin sur l’instrument, lors de ton 1er rdv avec un client?

Lorsqu’un musicien m’amène un instrument à l’atelier, j’écoute sa demande et ses difficultés tout en observant l’instrument: c’est la partie diagnostic. Je regarde la marque, modèle, état du corps et de la mécanique, de la garniture (tampons/lièges/feutres/ressorts…).
Est-ce qu’il a des bosses, des fissures, des parties dessoudées, des coulisses bloquées, des clés tordues ou le corps cintré?
Est-il tombé, comment est-il entretenu, à quelle fréquence est-il joué, quand est-il passé la dernière fois en révision dans un atelier ? Plein de questions!

Tous ces éléments me permettent de proposer au musicien une intervention adaptée aux besoins de l’instrument et à son budget.
Je peux garder l’instrument pour faire un dépannage « sur le vif » ou quand il y a urgence. 
Sinon, si cela peut attendre, on fixe un RV pour immobiliser l’instrument juste le temps de la révision ou de l’intervention. 
En général, pour tout ce qui est planifiable, j’ai environ un mois de délais.

Je propose des forfaits pour les révisions de chaque instrument ou leur remise en état complète

Par exemple, une révision comprend pour les bois :

Pour les cuivres, c’est plutôt :

Le quotidien d’une réparatrice d’instruments à vent

Quels outils utilises-tu? Est ce qu’ils évoluent beaucoup au fil du temps? Est ce que les manières et possibilités de réparer ou d’entretenir les instruments ont varié avec le temps/les époques?

J’utilise tout un panel d’outils que je continue de compléter au fil du temps. L’outillage complet pour un atelier spécialisé représente un bel investissement ! 

Ainsi, je ne me risque pas sur certaines opérations par manque d’outillage, de compétences ou… de muscles (!)
Je n’hésite pas à renvoyer les musiciens vers d’autres ateliers mieux outillés ou plus spécialisés.

L’outillage a-t-il évolué avec le temps ? Je pense que oui, sensiblement, mais certainement moins que les matériaux.
Nous utilisons toujours tournevis et pinces, limes et chalumeaux, plaque à tampons et maillets, brunissoirs et mandrins et devons être en capacité de refabriquer certains outils ou de les améliorer.

L’innovation est cependant présente dans le milieu, tant sur les matériaux (évolution des colles naturelles vers les colles chimiques, des feutres ou lièges vers des matériaux synthétiques, sans parler des corps d’instruments en plastique ou ABS…) que sur les procédés de fabrication. 

La délocalisation des savoir-faire ou la mécanisation/robotisation de certaines étapes de fabrication, est pour moi une triste réalité de notre époque, dans la facture instrumentale comme dans de nombreux domaines. Notre pays a été un fleuron de la facture instrumentale et il serait dommage de l’oublier.
Il est primordial de transmettre et de former afin de faire perdurer ces savoir-faire sur le territoire ; et c’est là que l’ITEMM prend tout son sens en réunissant et confrontant des apprentis de tous les coins de France. 

Peux tu expliquer la différence et les spécificités entre les cuivres et les bois?

La différence entre ces 2 familles réside non pas du type de matériau (bois ou métal) mais dans le système émetteur utilisé : la famille des cuivres se distingue par son embouchure (ce sont les lèvres du musicien qui rentrent en vibration).
Celle des bois se divise en 3 sous-catégories :

Ainsi, le saxophone en laiton est un bois et le serpent (ancêtre du tuba en bois) est un cuivre !

Le technicien peut faire le meilleur travail du monde, c’est le musicien qui fait sonner l’instrument

La pire galère que tu aies connu lors d’un entretien ou réparation?

Je n’ai pas souvenir d’une grosse galère en particulier.
Mais si je dois relater des anecdotes pénibles, je dirais que c’est relatif au timing à tenir : on trouve toujours des solutions aux pires galères, le problème c’est souvent le manque de temps.
Et quand une vis microscopique tombe et disparait dans un endroit improbable, quand un outil casse ou quand la lampe qui permet de voir à l’intérieur des saxophones rend l’âme et qu’on est pris par le temps, c’est là que les ennuis commencent…

La réparation/entretien dont tu es la plus fière?

C’est celles des dépannages express de musiciens juste avant un concert ; c’est assez gratifiant de sentir qu’on « sauve » la situation.

Je me souviens d’un saxophoniste jamaïcain en tournée en France. Son sax était… défoncé. J’ai changé les tampons les plus déchirés avec le peu de temps que j’avais mais il fallait tout retamponner !
Cependant quand il est revenu essayer l’instrument avant de monter sur scène, il m’a bluffée par son talent et sa capacité à faire sonner ce saxophone qui semblait rincé… Cela m’a remis les idées en place et fait relativiser ! 

Le technicien peut faire le meilleur travail du monde, c’est le musicien qui fait sonner l’instrument. Ce n’est pas une raison pour bâcler le travail, mais j’essaie de garder cette anecdote en tête quand je suis aux prises avec la « tyrannie de la perfection ».

Sa vision du métier et ses évolutions

Comment vois tu l’évolution du monde de la musique (concerts, magasins, pratiques musicales, etc..) avec la situation sanitaire?

Je trouve ça triste. Je ne suis pas sur les réseaux sociaux et ne suis pas très au fait de ce qu’il se passe sur le net.
Ce qui est sûr c’est que cela ne remplacera jamais le live, le bonheur de jouer ensemble en petites ou grandes formations, le plaisir d’assister à un concert, une représentation qui se déroule sous nos yeux et sous nos oreilles.

Les instruments à vent ont été plus impactés, on ne peut pas jouer avec un masque ; les inscriptions dans certaines classes en ont pâti.
Les débutants qui suivent des cours en visio-conférence ont toutes les chances de décrocher sans un prof pour les aiguiller avec la position subtile de l’embouchure, la manière de respirer, de se tenir et tenir l’instrument. 

De manière générale, cette situation sanitaire impacte fortement le secteur, les fabricants, les magasins, les ateliers.
Il faut que tout le monde se responsabilise (en évitant d’acheter sur le net à l’étranger quand on peut faire autrement), et qu’on se serre les coudes, en attendant que ça passe !

Il y aura toujours besoin d’un technicien aux côtés du musicien, nous pourrons difficilement être remplacés par des machines. 

Comment vois tu l’évolution de ton métier? (passée et à venir)?

Autrefois, avant que l’ITEMM ne vienne homogénéiser la formation des techniciens, la majorité des réparateurs qui exerçaient dans les ateliers, s’étaient préalablement formés dans les différentes maisons de fabrication du territoire (Selmer, Buffet Crampon, Leblanc, Rigoutat, Lorée, Marigaux, Courtois…). Ils avaient un solide bagage technique au niveau « procédés de fabrication », qu’ils mettaient alors au profit de la réparation.

Aujourd’hui, la formation est davantage axée sur la réparation des bois et des cuivres et les entreprises qui embauchent des apprentis sont autant d’ateliers de réparation que de maison de fabrication (artisanales ou non). Et comme il y a un centre de formation digne de ce nom, il y a de plus en plus de techniciens formés et diplômés qui arrivent sur le marché du travail. La concurrence est plus rude mais j’ose croire que cela est plus bénéfique que préjudiciable.

J’ai l’impression qu’à l’avenir, les jeunes formés en France iront aussi exercer à l’étranger, temporairement ou non, comme cela se fait déjà. En tout cas, une chose est sûre : il y aura toujours besoin d’un technicien aux côtés du musicien, nous pourrons difficilement être remplacés par des machines. 

En ce qui me concerne, quand j’ai commencé ma formation, on nous a dit « il faut généralement une dizaine d’années avant de devenir un bon technicien ». 

Alors ça y est, je commence à assumer mes compétences. Et j’ai toujours plaisir à me pencher sur un nouvel instrument. Je ne me lasse pas de ce métier grâce à la diversité des instruments qui passent entre mes mains et je sais que j’apprendrais jusqu’au bout de ma carrière.

L’exercice de mon métier pourra évoluer de différentes manières : en plus de l’atelier, je pourrai m’investir davantage au niveau de la formation à l’itemm mais aussi de la vente au magasin. Travailler en partenariat avec d’autres confrères ou fabricants, sur des travaux d’innovation avec les instrumentistes… mais pour l’instant, je reste concentrée sur mes 2 enfants en bas-âges et mobilise le reste de mon énergie pour assurer l’ouverture de l’atelier du mardi au vendredi ! Chaque chose en son temps !

Les goûts et les couleurs

Ton instrument préféré dans les instruments à vent?

Ahah, question piège ! Je suis bien incapable de répondre. Si c’est l’instrument que je préfère jouer, c’est surement la clarinette, qui m’accompagne depuis 20 ans. 

Si c’est l’instrument que je préfère réparer ou écouter, je les aime tous !

 Quelles sont les principales idées reçues sur les instruments à vent?

Qu’on ne peut pas jouer d’un instrument à vent dans tous les styles de musique ? Même s’ils ne sont pas très représentés dans le rap, l’electro, le rock ou le métal, je peux vous trouver plein d’exceptions qui confirment qu’ils ont vraiment leur place, surtout avec tout l’attirail de musique amplifié et de distorsion du son, des pédales et des effets de bouclages.

Chacun a sa propre idée reçue.
Peut-être que c’est plus difficile à apprendre que le piano, la guitare ou la batterie ?! 
Pour ma part, je pense que chaque instrument a ses spécificités et difficultés et qu’il s’agit surtout de la motivation et du choix du professeur.

Ton top 10 de morceaux du moment?

Et voici ma playlist éclectique de l’avent ! 

  1. Ill wind – Radiohead
  2. Come wander with me – Jeff Alexander
  3. Pop wok – Emilien Véret
  4. Ginti Tihai – Jean-Philippe Viret
  5. La confession – Lhassa
  6. Oblivion- Astor Piazzolla 
  7. One way ticket – Cyrille Aimé 
  8. Prélude à l’après midi d’un faune –Debussy 
  9. My Favorite Things – Youn Sun Nah
  10. What are we waiting for? – Amiina 

Un grand merci à Louise d’avoir répondu à nos questions!

Infos pratiques :

Son atelier instruments à vent se situe au fond du magasin Danett Music ; il est ouvert de préférence sur RV, du mardi au vendredi de 10h à 16h30 (parfois plus tard, et parfois le samedi). 
Elle est joignable à tout moment par téléphone, au 07 82 26 72 36.